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Relation de Chipahuac - jour 5 - 20660617


"Allo Yod ?"



Garance était persuadée que Vladimir leur devait encore 30 000 crédits. Chipahuac n'en avait pas vraiment le souvenir, mais Vladimir avait tellement embrouillé son monde... Trop tentant de la croire et de tenter le bifteck... Elle téléphonait à Yod dans l'espoir qu'il en saurait peut-être un peu plus... Mais rien. Yod restait un simple intermédiaire. Moins les fixeurs en savent, plus ils restent longtemps en vie.


15h30.


Avant tout, elle devait soigner sa langue. La Fouine lui avait révélé qu'Irina, mieux que Crobe, s'occupait des réparations anatomiques sérieuses. Elle l'avait un peu émoustillé au passage (on ne sait jamais, ça pourrait servir) et l'avait quitté tandis qu'il se dandinait maladroitement pour échapper à son trouble.

Il fallait donc se taper Sergueï. Il marinait dans son gras au sous-sol avec trois pouffes. 
 
 
Chipahuac commença sur un ton badin en parlant de la dernière mission. Comme elle pouvait s'y attendre, Sergueï voulait plutôt l'inviter à des jeux salaces, arrosés de vodka. 
 

Heureusement, les soins nécessités par sa langue abîmée lui fournissaient un bon prétexte pour l'éviter, au moins pour le moment. Irina bossait à la clinique de l'Espérance, au Nord-Ouest. Merde, il faudrait encore crapahuter. Pour la thune du snuff, il fallait en parler à Vladimir. Il reviendrait quand ? Savait pas... Sergueï jouait les mystérieux pour se gonfler. Vraiment un pauvre type. Puis elle détourna la conversation sur le business des armes, mais Sergueï n'était pas intéressé. Il se montra plus cassant quand elle aborda le problème des yakusas. La protection des "alliés" russes ne recouvrait pas des embrouilles avec une corpo comme Hirohito et c'était plutôt à eux de se plaindre. 
 

Ça sonnait pas loin de la menace : il fallait vraiment se barrer de là, rompre définitivement avec ces enflures venues du froid. Pas besoin de s'énerver, pas trop l'ouvrir cette fois. Elle laissait Sergueï avec un grand sourire tout en promettant de revenir.



17h30



"Allo Yod ?"



Une galère... Après le conciliabule au Spirits avec ses compagnons d'infortune, Chipahuac s'était retrouvée chargée d'un paquet de flingues et de munitions à refourguer, entendu qu'elle avait le contact pour. Mais il faudrait se balader avec cette marchandise à travers la moitié de Night City. Comme d'habitude, on l'avait laissée seule pour mener cette opération risquée, personne n'avait voulu l'accompagner. Donc aller voir Irina, puis, une fois soignée, redescendre et traverser presque toute la ville miroir pour choper Rudy, honnête trafiquant d'armes au Death Park Bar.. Essayer d'éviter yakusas, fédéraux et autres gêneurs potentiels durant cette promenade. Elle espérait donc pouvoir compter sur Yod pour faire le taxi.
Malheureusement, son manager avait d'autres chats à fouetter : puisque Chipahuac, vedette de son show, avait dû soigneusement éviter de se donner en spectacle ces temps-ci, il faisait passer des auditions. On ne pouvait pas lui en vouloir.



Tant pis, le tuk-tuk.

Chipahuac scruta les alentours, à l'affût du moindre détail suspect.

R. A .S.

En route pour la clinique.





Elle pénétra dans l'officine. Les lieux avaient l'air clean, c'était plutôt rassurant. La secrétaire lui indiqua le troisième étage. En sortant de l'ascenseur, elle aperçut immédiatement Irina, qui était bien sûr ravie de la revoir et particulièrement excitante sous sa blouse d'infirmière.
 


Mais avant le quart d'heure torride, les soins étaient nécessaires. La langue et le larynx allaient être comme neufs, mais ce ne serait pas une partie de plaisir. Pas le temps pour une anesthésie. Pour la distraire d'une douleur paroxystique, Irina l'enfila avec un gode en même temps qu'elle laissait les reconstituants dermiques fondre au fond de sa gorge. La part scientifique de la démarche le disputait à une certaine perversité. Cela n'empêcha pas Chipahuac de hurler. Quoi qu'il en soit, ça resterait un moment inoubliable. L'opération se termina enfin, par un total succès. Décidément, Chipahuac adorait cette fille.
 

 
Au passage, Irina lui apprit que Vladimir était en Russie. Donc possible que Sergueï ait barboté le reste de leur dû en son absence. Ou bien Garance avait déliré. On verrait ça plus tard.




19h30

R. A. S.

Tuk-Tuk.

Il fallait maintenant rejoindre le Death Park Bar.



Stan n'était pas de service, remplacé par Terry, un puceau avec deux cyberbras trop gros pour lui. 
 

Il reconnut immédiatement Chipa qu'il avait admirée lors de son combat contre Frake Krichevski. Bavard et collant. Il prétendait lui aussi se lancer sur les rings. Il ne ferait pas de vieux os. En temps normal, Chipahuac aurait pu être amusée, mais elle ne tenait pas tellement à taper la causette, ni à se faire (trop) repérer en squattant le bar., au vu de tous Tandis qu'elle parvenait à s'en débarrasser, comme un fait exprès, un costaud avait commencé à l'embrouiller et s'était levé, menaçant. Un regard de Chipa : il renonça. 

Rudy était en affaire dans une salle à côté. Pour éviter d'autres gêneurs, elle s'installa à une table dans un coin pour l'attendre. Après une petite demi-heure, une porte s'ouvrit près du bar et il apparût. Elle lui fit un léger signe. La discussion s'engagea, entre badinage, négociation et bouteille. Chipahuac avait déjà sifflé quelques vodkas chez Sergueï et préférait garder l'esprit clair pour les affaires. 
 


Rudy lui rappela qu'il n'était qu'un intermédiaire. Il avait des acheteurs, mais il faudrait se rendre « chez les rats ». Il n'en dit pas plus et elle dut se contenter de le suivre. Sous une pluie mauvaise, ils traversèrent un vaste terrain vague peuplé de déchets plus ou moins agonisants de l'humanité, se frayant un chemin incertain et boueux. L'image d'une fête foraine désaffectée se rapprocha, laissant apparaître des bidonvilles où vivotaient quelque espèce de gitans dégénérés. Une grande roue brisée surmontait ce décor de ville zombie. 



C'est dans cette direction que Rudy les conduisit. Au pied de l'engin, il ouvrit une porte rouillée et ils s'enfoncèrent dans des escaliers obscurs puant la pisse aigre et la moisissure. Après avoir descendu ainsi quelques niveaux, ils ouvrirent une autre porte et se retrouvèrent dans une grande salle mal éclairée. 
 


Il y en avait trois. Une fille bien gaulée avec des gros cyberoptiques et deux balaises. On fit asseoir Chipa et Rudy sur un vieux canapé aux tâches suspectes. L'un d'eux s'absenta et revint avec trois autres gus. Ça commençait à faire beaucoup, surtout que les deux balaises s'étaient immédiatement positionnés derrière eux. Mais Rudy avait bien recommandé à Chipa de le laisser parler et mener la danse. Il s'adressait à un certain Dirt, une crevette arrogante qui se proclamait leur chef. Les armes de Chipa ne semblaient pas tellement les intéresser. Ça semblait tourner au vinaigre et Rudy n'arrivait visiblement pas à convaincre. Et puis il y avait ces regards un brin goguenards qui semblaient avides de chaque centimètre de sa peau... Alors elle comprit : des désosseurs ! 
 

Elle sentit un mouvement... En un éclair elle fit demi-tour et plaqua au sol l'un des deux types de derrière qui ne s'y attendait pas. Malheureusement, elle reconnut immédiatement le contact de quatre flingues plaqués sur son échine et leva les mains au-dessus de sa tête.

 

« Putain, Rudy, qu'est ce que c'est cette merde ! »

Rudy essaya encore de rattraper le coup mais pédalait dans la semoule. La situation était critique. Chipa prit sur elle de se calmer et d'analyser la situation. Pour faire diversion, elle entreprit de séduire la fille, mais elle était complètement psychotique et sur une planète inaccessible. Il fallait agir. Frapper à la tête. D'un bond la catcheuse fût sur Dirt. Son cyberbras passa derrière son cou aussi vif qu'un serpent tandis que l'autre le rejoignait dans son dos pour affermir sa prise. Le Dragon Sleeper avait fait son œuvre et s'avéra plus mortel que prévu. Ce fût la débandade. La petite bande emprunta toutes les issues possibles en prenant ses jambes à son cou.



Il fallait néanmoins se barrer de là vite fait avant qu'ils n'appellent des renforts. Rapidement, Chipa fit son marché, ramassant dans les armoires armes et munitions qui traînaient. Mais déjà on entendait des bruits. Ils remontèrent vers la surface en courant, parcoururent encore le terrain vague et atteignirent le parking du Death Park Bar, enfin en sécurité.

Chipa engueula copieusement Rudy pour ce plan foireux. Tout penaud, il acheta lui-même son matos pour 4000 crédits, et s'excusa platement. Elle y réfléchirait sans doute à deux fois avant de refaire affaire avec lui.





22h00

R.A.S.

Tuk-Tuk

Oncan manquait toujours à l'appel et elle devait de nouveau tenter d'interroger Colli, Crush, Elcapethec, Cuatr'Ojos.




Le squat était vide. Plus personne. Chipa sentit son cœur se serrer d'angoisse. Mais rien n'indiquait une fuite précipitée, dans la panique. Aucun signe de lutte, ni de désordre. Au contraire, aucun effet personnel n'avait été laissé derrière, le mobilier restant était bien rangé. À l'évidence, un départ bien ordonné, volontaire. Elle ressortit un moment pour interroger un vieux junkie qui traînait dans les environs. Il connaissait Crush et les autres. Ils étaient tous partis hier, sans laisser adresse ni motif. L'angoisse fit place à la tristesse.



Elle revint au squat pour réfléchir.



Pourquoi ? Oncan, puis toute la tribu. Quelle était cette terreur qu'elle leur inspirait ? Il y avait peut-être un moyen pour obtenir quelques réponses. Une vieille pratique que lui avait enseigné la chamane. Elle s'y était essayé, mais les territoires de la transe n'étaient pas sans danger, on pouvait y perdre l'esprit, ou plus encore. Pourtant, après toutes ses épreuves, ayant appris plus que jamais sur elle ces derniers temps, elle se sentait forte et suffisamment armée.

Elle se mit à genoux, s'inclina par trois fois en invoquant la double-déesse et ferma les yeux. Les sons s'estompèrent... Sa respiration se fit attentive...Profonde, de plus en plus profonde... Elle descendit. Descendit. Descendit... Des images se formèrent...

Les flammes. De toute part, menaçantes. Chipahuac se rapprochait d'elles inexorablement, puis se vit arpenter un soleil. Dans ce tourbillon de feu, quelqu'un, quelque chose, tirait sur ses cornes à les lui arracher. Alors, comme dans la vision de Moïra, comme dans le rêve de Garance, l'image jumelle de Chipahuac émergea de ce chaos, terrifiante. Puis se démultiplia à l'infini. La scène était baignée d'un vrombissement infernal qui grandit, grandit, intensément, jusqu'à quelque insoutenable frontière de la folie.

Et, soudain, rien.

Noir, rien.

Ni lumière, ni moindre crépitement sonore de fourmi, ni d'infime frémissement sur sa peau, ni plus vague effluve. Elle se prit à crier le nom d'Oncan, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Pas même, ses mains ne rencontraient l'épaisseur de son corps... Terrorisée.

Cependant... Encore Chipahuac... Incarnation de Tiacapan-Coatlicuë. La Combattante, la Guerrière. Elle rassembla toutes ses forces psychiques et appela de nouveau : « Oncaaaaaaan !»

Ténu. Un point lumineux. L'esprit de Chipahuac s'avança. La lueur s'élargit, chassa les ténèbres, enfin. Et la lueur nimbait Oncan qui, en son centre, contemplait Chipahuac dans une expression d'indicible frayeur. 
 



Chipahuac s’écroula sur le sol, tremblante encore. Elle était épuisée, mais consciente. Encore un moment pour se remettre, elle pleura peut-être.



3h00 A.M.



Elle se leva, prit un dernier tuk-tuk pour rejoindre la planque de Photon, avec Jeff et Sven. Vers la Marina Est... . Ils n'étaient pas de sa tribu, mais c'est encore ce qui s'en rapprochait le plus en ce moment. Sécurité. Dormir... Devant le Last Round, plusieurs voitures de flics. Bizarre... Discrètement, Chipa entra dans le box et retrouva les garçons.



D'une voix sourde, Sven lui annonça : Yod avait été tué.